A l’occasion de la tournée présidentielle d’Emmanuel Macron en Afrique centrale et de son étape à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), j’ai été moi-même invité lors de ce déplacement en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Congo, conjointement à mon homologue du Sénat, monsieur Ronan Le Gleult. A ma descente de l’avion, une foule de plus de 100 personnes m’attendait pour un accueil chaleureux et enthousiaste, témoignant du fort écho de ma parole dans le pays. Par la suite, les services de l’ambassade de France nous attendaient afin de nous convier à une rencontre avec toute la délégation le jeudi 2 mars, composée de plusieurs acteurs de la culture, en particulier de Madame la ministre Rima Abdul Malak.
Le jour suivant mon arrivée, le vendredi 3 mars, je me suis rendu au Palais du Peuple pour plusieurs entretiens, notamment avec le président de l’Assemblée nationale, monsieur Christophe Mbosso. Ce moment a été riche et m’a permis de mesurer la tension qui régnait en RDC au sujet des positions françaises. En effet, l’ambassade de France a été victime de dégradations et j’ai pu constater la présence de différents drapeaux russes brandis par des manifestants en colère car oui, c’est bien de colère qu’il s’agit. Nombre de Congolais ne supporte pas la passivité française face à la situation sécuritaire dans l’est du pays et surtout, pas plus que le refus de condamnation explicite de part du chef de l’État français du soutien rwandais apporté aux rebelles du Mouvement du 23 mars (M-23) alors que plusieurs acteurs ont démontré l’aide substantielle que Kigali apportait à ce groupe armé responsable de multiples atrocités. Dès lors, la France était attendue au tournant lors de cette visite, d’autant plus que le discours tenu par Emmanuel Macron le 27 février peu avant son départ pour sa tournée africaine a été très mal reçu. Le peuple congolais attendait une clarification ferme de la France sur le soutien rwandais au rebelles qui fut démontré récemment dans un rapport des experts de l’ONU.
Toutefois, malgré les inquiétudes et les fortes attentes congolaises, l’accueil que j’ai reçu était chaleureux et enthousiaste. Ma position était attendue sur la situation est-congolaise du fait de l’unanimité des parlementaires congolais ainsi que du peuple qu’ils représentent quant aux actions rwandaises sur le territoire congolais. En ce sens, les propos que tiendrait le président français lors de son entretien avec le président congolais, monsieur Félix Tshisekedi, allaient être déterminants. Les attentes étant fortes, les annonces se devaient de l’être aussi car le lien entre la France et le Congo est puissant, ne serait-ce qu’en raison de la place majeure qu’occupe la RDC dans l’espace francophone. Il me paraît fondamental de rappeler encore une fois le rôle centrale du Congo dans la francophonie du fait de sa démographie puisque le pays compte plus de 100 millions d’habitants dont 1 sur 2 parle français, tout en sachant que d’ici 2050 la RDC sera le pays au monde comptant le plus de locuteur francophone. Préserver ce lien entre le Congo et la France paraît alors essentiel, à l’heure où la menace de la sortie du Congo de l’organisation internationale de la francophonie (OIF) plane toujours du fait de la gouvernance rwandaise de Louise Mushikiwabo.
Dans la lignée des échanges prévus entre congolais et français, un forum économique devait se tenir, or les représentants congolais ont fait savoir que rien ne pourrait être envisagé tant que la France n’aurait pas assumé une condamnation ferme, si ce n’est des sanctions, à l’encontre du régime rwandais responsable du soutien au groupe du M-23 dont le conflit est-congolais est le produit. Encore une fois, la situation sécuritaire et militaire congolaise appelle à un positionnement et à une action forte de la France pour se montrer à la hauteur de l’enjeu, c’est-à-dire de notre lien avec le peuple congolais et la résolution d’un conflit qui a semé bien trop de morts sur son passage. Cela est fondamental car une part non-négligeable de la population congolaise considère que la France soutient la politique du président rwandais, Paul Kagame, et qui est renforcée par la fascination que semble avoir le président français à l’égard de son homologue rwandais.
De la même manière, au moment où le conflit ukrainien fait rage en Europe et où les puissances du vieux continent se sont montrées d’un soutien sans faille à Kiev, les Congolais ne peuvent tolérer un deux poids deux mesures. Ainsi, la France a apporté un soutien majeur à l’Ukraine qu’il soit à la fois militaire via les livraisons d’armes, humanitaire de par son accueil des réfugiés et enfin diplomatique en raison de sa condamnation claire de l’action de Moscou faisant que sa position timorée au sujet du Rwanda provoque l’ire de nombreux Congolais.
Malgré tout cela, le discours du président français lors de sa rencontre avec le président Tshisekedi n’a pas été à la hauteur, bien au contraire. Emmanuel Macron n’a pas adopté la position ferme que beaucoup attendaient et qui était essentielle, il a encore semblé ménager Kigali et en particulier son président, Paul Kagame, alors même que ce numéro d’équilibriste ne fonctionne pas et ne produit qu’un ressentiment croissant à l’égard de la France. De plus, le comportement français parfois déplacé a été souligné par le président congolais, notamment dans une séquence où celui-ci rappelle les propos de l’ancien ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui avait qualifié l’élection de président Tshisekedi de « compromis à l’africaine ». Or, suite à cette remarque le président français ne s’excuse pas mais opère une pirouette ce qui ajoute encore au mépris que bon nombre de Congolais ressentent.
Tout cela porte atteinte à l’image de la France et a des conséquences concrètes, notamment sur les expatriés français résidant au Congo et qui sont en première ligne face à la montée de l’hostilité dans le pays. C’est ainsi que de nombreux membres de la communauté française cherchent à me rencontrer, j’organise alors une réunion publique le vendredi après-midi à proximité du parlement congolais. A cette occasion plus de 500 jeunes sont présents, ce qui témoigne du réel intérêt que la jeunesse congolaise porte à mes positions et par mon intermédiaire, aux considération du peuple français ainsi que de la France Insoumise. Lors de cette réunion j’ai d’abord tenu à faire passer un message de fraternité qui m’a été transmis par Jean-Luc Mélenchon où celui-ci témoigne de sa profonde solidarité avec les maux du peuple congolais, les liens qui unissent nos deux pays sont particulièrement chers à ses yeux. Par la même occasion, j’ai tenu à rappeler la condamnation claire qu’il convient d’apporter au soutien rwandais visant les rebelles du M-23 tout en portant un message d’espoir et d’avenir :« Le peuple français soutient les congolais. Il faut le prendre en considération. Si l’Union européenne a financé le Rwanda, si différents acteurs politiques ont fait des erreurs dans le passé, en face de vous, vous avez l’avenir… Le rapport entre l’Afrique et la France va changer. Et c’est avec vous que ça va se faire. Et vous, vous devez soutenir les acteurs politiques français qui vont se battre pour vous ».
J’ai poursuivi en appuyant sur ce qui doit animer tous les responsables français et congolais, à savoir préserver et chérir le lien entre nos deux pays :« La France et le Congo sont des pays frères et sœurs. On se comprend dans la même langue. Il y a des congolais qui vivent en France et qui ont fait leur vie en France. Les choses peuvent s’améliorer, s’arranger, en restant unis. Mais si on se tourne le dos, on n’avance pas. Le Congo n’a rien à avoir avec la Russie. Le Congo a à avoir avec la France ». Enfin, j’ai tenu par terminer cette réunion en saluant le courage et la force du peuple congolais face à l’adversité puisqu’en dépit des problèmes du pays, ses habitants n’ont jamais baissé les bras, bien au contraire ils sont restés dignes, combatifs et résolument tournés vers l’avenir, ce qui est assurément la marque d’un grand peuple :« Quand on voit la situation de la RDC, où, malgré toutes les peines et misères que vous avez, vous restez debout, fiers, vous n’acceptez pas de céder un pas de vos frontières. La RDC est un pays solution pour nous les français. Vous avez la jeunesse, l’intelligence, la richesse du sous-sol, la richesse dans la créativité, la richesse culturelle, l’endurance, la dextérité. Dans le monde entier, les congolais sont reconnus par tous et par toutes. Que ça soit en France, en Belgique, en Italie, au Portugal, aux États-Unis , en Chine, les congolais sont reconnus».
Mon action et mes propos ont été bien reçus. Plus encore, le positionnement de la France insoumise sur les relations franco-africaines trouve un écho positif dans le peuple congolais ainsi qu’au sein de la communauté française du pays. Les propositions que nous faisons dans notre livret thématique « Paix – Pour une France indépendante, souveraine et non-alignée » et plus précisément dans sa partie 3.4 concernant les relations entre la France et l’Afrique, sont celles qui semblent les plus à même d’apporter des solutions concrètes en Afrique et d’assurer une relation basée sur la solidarité entre nos peuples. En ce sens, la francophonie paraît comme le point essentiel sur lequel nous devons nous baser car c’est elle, comme je l’ai rappelé lors de mes différentes prises de parole, qui permet de nous comprendre et de coopérer. Le français est au cœur de notre fraternité.
Pour conclure, je retiens de ce voyage à Kinshasa que notre parole de militants de gauche cherchant à remettre l’humain au centre trouve un fort écho dans le peuple congolais et que c’est la vision que nous portons qui permettra de faire face aux multiples épreuves auxquelles doivent faire face les africains. Néanmoins, il est fondamental de rappeler que rien ne sera possible entre la France et la République démocratique du Congo tant que Paris n’aura pas condamné avec force le soutien rwandais aux rebelles du M-23 et que le Gouvernement français n’aura pas pris les mesures nécessaires pour le faire cesser. Ainsi, la position française actuelle interroge. En effet, à l’heure où le Rwanda accroît son influence dans la région et où Paul Kagame militarise sans cesse son pays pour en faire une puissance incontournable, la non-action française suscite des interrogations. Dès lors, une question se pose : la France considère-t-elle le Rwanda comme son bras armé en Afrique ?
« La francophonie peut être un instrument de notre libération puisque c’est à travers la langue commune que nous accédons à tel ou tel domaine de la vie »